COMMEMORATION BOMBARDEMENTS 12 et 13 MAI 1940

Fraternelle royale des Chasseurs Ardennais

Jardin du MAÏEUR

Intervention Luc Gennart – 12 juin 2022

Mesdames, Messieurs,

A l’occasion de la commémoration des bombardements des 12 et 13 mai 1940, je souhaiterais m’adresser à vous, membres et représentants de la Fraternelle des Chasseurs Ardennais, qui entretenez le devoir de mémoire de façon magnifique depuis tant d’années – et de façon parfois ingrate – mais aussi à toute notre assemblée pour mettre en perspective notre histoire et l’actualité.

La Belgique, dont l’indépendance en 1830 s’accompagnait d’une stricte neutralité avec la bienveillance de puissances garantes, a dû malgré cette posture stratégique affronter deux invasions brutales en 1914 et en 1940.

Lors du premier conflit mondial, les Pays-Bas, neutres également, échappèrent à la manœuvre d’enveloppement stratégique du Plan Schlieffen, l’armée allemande étant dès lors obligée de s’attaquer aux fortifications de Liège dont la résistance permit le rétablissement des armées alliées et la victoire de la Marne.

Toujours strictement fidèle à cette neutralité stratégique, notre pays, malgré un renforcement historique de son armée, se voit à nouveau envahi 26 années plus tard mais cette fois les Pays-Bas le sont également et paient le prix fort avec notamment le bombardement aérien visant les populations civiles à Rotterdam.

Tirant radicalement les leçons de ce double échec, la Belgique mais aussi les Pays-Bas et le Luxembourg entrent dans le jeu des alliances de sécurité et défense et promeuvent le multilatéralisme. Le BENELUX devient naturellement une des pierres de fondation de notre Union européenne.

Depuis ce jour et de façon remarquable et unique dans l’histoire de la Belgique, notre pays n’a plus connu que la paix, malgré les menaces et les tensions générées entre autres par la Guerre froide. Plus de trois générations de citoyens ont pu depuis lors vivre en paix. La Chute du Mur en 1989 et la dislocation de l’URSS deux ans plus tard nous ont conforté dans un sentiment de supériorité procuré par un modèle démocratique apparemment planétaire, capable de renverser de façon irrésistible tous les autres régimes.

82 années plus tard, qui aurait pu imaginer qu’un scénario de guerre totale avec usage de moyens conventionnels puisse se reproduire à un peu plus de 1500 km d’ici, dans une Europe officiellement apaisée et soucieuse d’engranger les dividendes de la Paix ?

La guerre en Ukraine a constitué à cet égard un violent réveil : scénario improbable pour les plus jeunes générations, une invasion comparable à celle que nous avons vécu en 1940 vient de se produire à l’est du continent. L’OTAN, l’Union européenne ont réagi fermement et n’ont pas tergiversé comme lors des Accords dévastateurs de Munich en 1938. Il s’agit d’une excellente réaction du monde libre.

Mais ce choc a d’importantes conséquences notamment pour certains pays qui étaient historiquement neutres ou neutralisés à l’issue du 2ème conflit mondial. Les demandes d’adhésion à l’OTAN de la FINLANDE, pays martyrisé dès 1939 par son grand voisin et de facto neutralisé et de la SUEDE, neutre depuis plus de deux siècles, constituent un bouleversement des équilibres géostratégiques.

Le DANEMARK, membre de l’OTAN mais non engagé dans la Politique européenne de Sécurité et de Défense vient à une large majorité de voter pour son retour dans le giron de la défense européenne.  

L’Allemagne, malgré une Constitution pacifiste imposée par les vainqueurs en 1945, vient de décider d’un effort de défense exceptionnel sur le court terme sans commune mesure depuis la Chute du Mur, avec 100 milliards d’euros sur cinq ans.

L’OTAN, dont l’utilité et l’existence même semblaient remises en question encore très récemment par certains de ses membres les plus puissants, se voit renforcée comme jamais et confortée dans son rôle de sécurité et défense collective.

La neutralité stratégique n’est plus une posture pertinente. Je reste intimement persuadé que, comme en 1940, nous sommes face à un conflit de valeurs : les valeurs démocratiques, issues de l’esprit des Lumières, nos grandes démocraties authentiques, face à ce que nous appelons de nos jours les démocratures, ou pour le dire plus simplement les dictatures.

Le réarmement de nos démocraties européennes est en cours : nous ne le faisons pas pour envahir ou détruire un pays ou un peuple. Nous le faisons pour la préservation de nos valeurs et je voudrais saluer ici l’effort en matière d’investissements Défense que la Belgique est en train de faire pour rejoindre la moyenne européenne.

Mais d’abord, n’hésitons pas à tirer les leçons de notre récent passé : la Belgique a profité, comme la majorité d’autres pays européens membres de l’OTAN, des fameux dividendes de la Paix. Cependant, ce processus a pris chez nous des proportions démesurées. Classée avant-dernière en matière d’effort de défense au sein de l’OTAN pendant de nombreuses années, la Belgique s’est comportée en passager clandestin de l’Alliance. Seules nos participations aux différentes missions de la Paix, appréciées à l’international, ont pu donner le change. Rappelons que, hormis certains engagements de notre capacité aérienne, elles avaient toutes pour caractéristique première un engagement opérationnel dans un spectre de basse intensité, ce qui correspondait à notre profil capacitaire résiduel.

Depuis deux législatures, un effort de reconstruction a été entamé. Ce qui se passe à la frontière de notre Union européenne, à moins de deux heures de vol commercial, mérite cet effort de 2% du PIB en investissements défense que la toute grande majorité des pays de l’OTAN se sont engagés à faire. Pour notre pays, confronté comme d’autres à des besoins essentiels comme la sécurité sociale, l’enseignement, etc… le choc est rude. Il est aussi le résultat d’un désinvestissement qui nous oblige à remonter une pente plus raide que celle des autres.

L’Histoire est malheureusement souvent amenée à se répéter, d’une façon ou d’une autre. Ce que nos Anciens font depuis des décennies en rappelant, partout où cela est possible, les actes de bravoure, les souffrances ou encore les horreurs endurées par nos citoyens lors des conflits qui ont dévasté notre pays, participe non seulement au devoir de mémoire mais surtout rappelle que la paix se mérite, se gagne et a un prix : celui de notre liberté.

Je vous remercie pour votre attention.