Discours de Monsieur Luc Gennart à l’occasion de la Commémoration du 12 mai 1940 et du sacrifice du lieutenant De Wispelaere.


Mesdames, Messieurs,

François Mitterrand a un jour dit : « Le nationalisme, c’est la guerre ». Je souhaiterais inscrire mon intervention de ce jour sous cet éclairage non seulement prémonitoire mais surtout qui reste d’actualité.

Il y a tout juste 77 ans se terminait sur notre continent le conflit le plus meurtrier de toute l’histoire humaine. Depuis ce jour et de façon remarquable et unique dans l’histoire de la Belgique, notre pays n’a plus connu que la paix, malgré les menaces et les tensions générées entre autres par la Guerre froide. Plus de trois générations de citoyens ont pu depuis lors vivre en paix. La Chute du Mur en 1989 et la dislocation de l’URSS deux ans plus tard nous ont conforté dans un sentiment de supériorité procuré par un modèle démocratique apparemment planétaire capable de renverser de façon irrésistible tous les autres régimes. La « Fin de l’Histoire », en d’autres mots la fin des conflits armés et de la violence, comme l’ont théorisé à l’époque de nombreux politologues, régnait en maître tant dans les milieux académiques que dans les écoles militaires occidentales.

Revenons ce jour sur ce qu’il s’est passé à cet endroit même le 12 mai 1940, un Lieutenant réserviste des troupes du Génie sacrifiant sa vie pour faire sauter un pont à valeur stratégique alors que l’ennemi en avait entamé le franchissement d’assaut. 82 années plus tard, qui aurait pu imaginer que ce type de scénario puisse se reproduire à un peu plus de 2000 km d’ici, dans une Europe officiellement apaisée et soucieuse d’engranger les dividendes de la Paix ?

Nous voilà donc toutes et tous confrontés à une terrible réalité : une alliée pendant le second conflit mondial, l’URSS, victorieuse de l’Allemagne nazie au prix de sacrifices humains gigantesques, devenue en 1945 un puissant adversaire idéologique pendant la Guerre froide jusqu’à son implosion à la fin du XXème siècle, entretient depuis plusieurs années une fibre nationaliste nostalgique : celle d’un empire déchu. La Russie du Président Poutine poursuit non seulement une chimère mais met en danger le reste du monde.

Pourquoi cette rancœur, ce désir de vengeance ou encore cette réinterprétation de l’histoire à des fins manipulatrices ?

Je voudrais ici rappeler l’énorme effort de dénazification entamé à l’issue du procès de Nuremberg par la République fédérale allemande, processus qui a permis l’éradication complète du nazisme en RFA d’abord, et dans l’Allemagne réunifiée à la Chute du Mur. La constitution allemande en incarne à cet égard un modèle démocratique. L’Union européenne se construit sur les bases solides de la réconciliation entre nations et surtout sur le couple franco-allemand, pourtant ennemis jurés depuis des siècles.

Au contraire, les crimes staliniens préalables à l’offensive allemande de juin 1941, le dépeçage de la Pologne prévu dans les clauses du Pacte Von Ribbentrop, le massacre des officiers polonais à Katyn, la famine planifiée en Ukraine, grenier à blé historique, Budapest en 1956, Prague en 1968 et bien d’autres encore, n’ont jamais fait l’objet d’un processus de « désoviétisation ».

Tout se passe comme si l’humiliation de l’implosion de l’empire soviétique devait être compensée par un nationalisme exacerbé, manipulant de façon grossière l’Histoire, censurant toute donnée contradictoire. Le peuple russe mérite mieux que cela.

Je reste intimement persuadé que, comme en 1940, nous sommes face un conflit de valeurs : les valeurs démocratiques, nos grandes démocraties authentiques, face à ce que nous appelons de nos jours les démocratures, ou pour le dire plus simplement les dictatures.

N’oublions pas ici l’esprit des Lumières, préalable à la Révolution française, sursaut intellectuel européen qui nous conduit à ce que nous sommes maintenant, un ensemble de nations de plus en plus unies et partageant les plus profondes valeurs démocratiques.

Toutefois, aujourd’hui, le pays le plus étendu au monde, la Russie, et le pays le plus peuplé du monde, la Chine vivent sous un régime politique qui garantit le pouvoir à leur seul dirigeant respectif actuel jusqu’au milieu des années 2030… Les démocraties du reste de la planète se doivent d’être interpellées.

La guerre en Ukraine a constitué à cet égard un violent réveil : scénario improbable pour les plus jeunes générations, une invasion comparable à celle que nous avons vécue en 1940 vient de se produire à l’est du continent. L’OTAN, l’Union européenne ont réagi fermement et n’ont pas tergiversé comme lors des Accords dévastateurs de Munich en 1938. Il s’agit d’une excellente réaction du monde libre. Le réarmement de nos démocraties européennes est en cours et je voudrais saluer ici l’effort en matière d’investissements Défense que la Belgique est en train de faire pour rejoindre la moyenne européenne.

Ce que les Anciens font depuis des décennies en rappelant, partout où cela est possible, les actes de bravoure, les souffrances ou encore les horreurs endurées par nos citoyens lors des conflits qui ont dévasté notre pays, participe non seulement au devoir de mémoire mais surtout rappelle que la paix se mérite, se gagne et a un prix : celui de notre liberté.

Je vous remercie pour votre attention.